Avec Bénédicte Cerutti, Séverine Chavrier, Emmanuel Faventines, Céline Milliat-Baumgartner, Laurent Papot
Un diptyque librement inspiré de Hanokh Levin
Texte français Laurence Sendrowicz et Emmanuel Moses
Mise en scène Séverine Chavrier
Scénographie Vincent Gadras
Lumière Jean-Marc Skatchko
Régie lumière Coralie Pacreau
Son Philippe Perrin
Vidéo Stéphane Lavoix
Co-production compagnie La Sérénade Interrompue / Théâtre Nanterre-Amandiers
Remerciements à Ramon Diago, Stéphane Caroff, François Verret, Guillermo Arizta, Alain Gravier, Ludmila Marchadier et Benjamin Chavrier
Couples désaccordés, mais comédiens totalement engagés qui nous entraînent sans forcer dans leurs délirants ballets, dans une suite de danses de différents tempos qui, comme la valse de Brel, nous laisse entrevoir des morceaux de vie.
Florian Fauvernier /Un fauteuil pour l'orchestre
Durée : 1h30 - 1ère partie Représailles / 2ème partie Épousailles
Dans Épousailles et représailles, Séverine Chavrier va nous entraîner dans trois histoires, trois couples, trois romances acides…
Dans ces nouvelles récemment traduites sous le titre Histoires sentimentales sur un banc public, Levin, avec l’écriture irrévérencieuse et libre qui lui est propre, dessine comme dans ses comédies une figure de l’homme sans qualité : personnage velléitaire, anti-héros pris dans un désir farouche de vivre et une incapacité à donner corps à ses plus folles envies, modeste par défaut, impuissant à l’excès.
Que ce soit la femme qui vacille jusqu’à redevenir une petite fille pleurnicharde et ingrate dans de véritables séances de postillonnage et de coups de pied au cul, ou l’homme qui s’abîme dans la longue contemplation de l’arrière-train d’une femme endormie, « escarpé, majestueux et charnu », Levin nous montre des individus incapables de concrétiser leurs aspirations. Et toute son écriture pourrait bien se prévaloir de cet aphorisme nietzschéen : « Qu’est-ce que l’homme ? Un éclat de rire ou une honte qui fait mal ».
Interview de Séverine Chavrier par Jean-François Perrier, janvier 2010
Le public du Théâtre Nanterre-Amandiers vous connaît comme musicienne puisque vous jouiez du piano dans Schweyk de Bertolt Brecht et dans Les Fiancés de Loches de Georges Feydeau mis en scène par J.-L. Martinelli. Aujourd’hui c’est comme metteuse en scène que vous revenez. Est-ce une nouvelle vocation ?
Pas vraiment puisque je m’intéresse au théâtre depuis de très nombreuses années mais en me situant dans des endroits différents. En fait j’ai commencé des études de philosophie en hypokhâgne que j’ai terminées par une maîtrise tout en étudiant parallèlement la musique avec assiduité et en obtenant un diplôme au Conservatoire de Genève. De retour à Paris je me suis inscrite au Conservatoire national de musique et au Cours Florent car j’avais envie de mieux connaître le théâtre, en particulier en abordant le jeu. C’est grâce à Rodolphe Burger que j’ai rencontré Jean-Louis Martinelli et que j’ai pu mettre mes compétences musicales au service des pièces qui se sont montées au Théâtre Nanterre-Amandiers, puis ensuite en travaillant avec le chorégraphe François Verret. J’aime passer d’un univers à l’autre pour découvrir des pratiques différentes.
Vous avez été actrice ?
Non mais j’ai voulu savoir ce que c’était que de jouer, je voulais une formation sans penser à devenir une actrice professionnelle.
Mais aujourd’hui vous assumez publiquement votre statut de metteuse en scène ?
Oui parce que j’ai créé ma compagnie en 2003 avec l’idée de faire de la mise en scène. Je me suis intéressée à Feydeau en travaillant sur Chat en poche, une pièce qui parle beaucoup de musique, parce que je voulais travailler sur des formes différentes de comique en m’appuyant sur le travail des acteurs. Je pense en effet que chaque acteur peut développer son propre comique. Travailler sur Feydeau m’a permis surtout de découvrir la cruauté avec laquelle cet auteur aborde les problèmes du couple, la lâcheté féminine ou masculine, les conflits de génération. Ensuite j’ai créé de toutes pièces un spectacle qui avait pour titre une phrase de Thomas Bernhard, « Avec Mozart le mal de gorge était moins grave », qui mêlait des textes improvisés par des acteurs et de la musique de tango.
Et maintenant vous allez vous intéresser à Hanokh Levin ?
J’ai découvert cet auteur lorsque j’ai vu le remarquable travail de K. Warlikowski sur la pièce Kroum l’ectoplasme. En lisant ensuite d’autres de ses œuvres j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de Feydeau dans cette écriture, un Feydeau mâtiné de Tchekhov. C’est grinçant et désespéré et même parfois méchant. J’ai commencé à lire ce qui a été traduit en français (une petite partie des 57 pièces qu’il a écrites). J’ai aimé sa concision lorsqu’il décrit la politique du pire pratiquée par ses héros dans leurs relations familiales. Cette sensation de passer à côté de sa vie que l’on retrouve comme un fil rouge dans beaucoup de ses textes se traduit par une course permanente à l’échec, aussi bien dans ses comédies que dans ses tragédies et dans ses nouvelles.
Hanokh Levin vivait en Israël. Cela se sent-il dans ses œuvres ?
Certaines abordent directement les problèmes politiques et en particulier la guerre avec la Palestine. Dans beaucoup d’autres, on sent le poids du quotidien, de la vie à Tel Aviv, de l’urgence dans un pays insécure. Il y a des satires virulentes comme dans La Reine de la salle de bain dans laquelle toute une famille vit dans une salle de bain - père, mère, fils, fille - et n’a de cesse que de rejeter un cousin qui dérange. Allusion très claire pour les spectateurs israéliens à la situation d’Israël face aux territoires occupés. Il y a souvent un parallélisme entre les échecs intimes et les échecs politiques, entre la petite et la grande histoire. Bien sûr cela peut poser un problème au niveau de la traduction. Mais je crois que Levin est un auteur universel, pas un auteur folklorique juif. Ce n’est pas parce qu’il y a un rabbin dans les cérémonies de mariage qu’il décrit que cela ôte la violence de ce que dit Levin sur « tous » les mariages…
Comment expliquez-vous l’engouement actuel pour cet auteur ?
Je pense que la théâtralité de son œuvre et cette cruauté imparable dont je parlais fascinent metteurs en scène et acteurs. Il y a une force incroyable dans cette exubérance contagieuse.
Vous ne montez pas une pièce mais vous avez adapté des nouvelles ?
Oui je travaille sur des nouvelles écrites sous forme de duos de personnages qui seront entrecoupées de satires et de chansons sur le thème du mariage et de ses conséquences… Le fil rouge sera la difficulté des rapports entre les hommes et les femmes. Tous les acteurs auront entre 30 et 40 ans, des gens de ma génération, une génération que je trouve, moi compris, un peu immature. Nous sortons de cette immaturité un peu tardivement en nous posant des questions sur la peur de la maladie et de la mort. J’ai le sentiment que nous dégageons une grande énergie pour des résultats médiocres et que cela est au cœur de l’œuvre de Levin. Dans les relations de séduction et d’amour il n’y a qu’échecs successifs comme si les personnages préféraient les fantasmes pour ne pas avoir à se confronter à la réalité.
On parle souvent du burlesque en ce qui concerne le jeu, l’interprétation des personnages de Levin ?
Si le burlesque c’est comme le dit Bakhtine « l’inversion du haut et du bas » pour rendre encore plus vivantes les choses de la vie je suis très favorable. Si c’est pour mettre à distance en grossissant le trait et ainsi couper la relation avec le spectateur là je ne suis pas d’accord. Oui pour le burlesque à la Chaplin… pour l’humanité incroyable de ses personnages. Les personnages de femme dans les nouvelles sont très magnifiés, à la manière des dessins de Bruno Schulz dont je pense me servir, devant des hommes se vautrant dans l’échec. Dans les nouvelles comme dans les pièces la vie se divise en quatre étapes : la naissance, le mariage, la maladie et la mort. La critique de Levin sur ce parcours imposé se double d’une critique sur tout ce qui maintient les hommes et les femmes dans ce carcan social. D’ailleurs il s’agit toujours de personnages vivant dans des quartiers de classe moyenne, ni riches ni pauvres, qui parfois espèrent échapper à cette vie réglée par un départ vers l’étranger, souvent les États-Unis ou l’Australie, pays mythiques, pays fascinants et fantasmés. Il ne faut jamais oublier qu’Israël est un tout petit pays en superficie et que l’envie de sortir est sans doute plus forte en dehors même de la situation de guerre. Ce désir d’échapper est souvent à l’origine d’un conflit de génération entre les parents et les enfants. C’est à cet endroit-là qu’on pense à Tchekhov dont Levin s’est servi pour écrire Requiem sa dernière pièce, en utilisant trois nouvelles du génie russe. Le temps chez Levin n’est pas de l’action mais plus de l’attente, de l’arrêt, de la suspension comme Tchekhov l’envisageait aussi. Beaucoup de titres des pièces de Levin sont déjà des indications sur l’univers qui va naître sous nos yeux de lecteur ou de spectateur : L’Indécis, Le Pleurnicheur, Bouche bée, Battus et vaincus, Une laborieuse aventure entreprise, Les Suppliantes, Tout le monde veut vivre… Mais cette nostalgie, ce désespoir, cette course à l’échec sont toujours teintés d’humour et il engendre souvent le rire, un rire libérateur.
Centquatre-Paris
Dans le cadre du Festival Impatiences, programmé par la Théâtre de l’Odéon
9 et 11 juin 2011